Coup de coeur: Pioneering Women in Plant Pathology [Les femmes pionnières dans le domaine de la pathologie végétale]
Dans cette vidéo, Sophien Kamoun présente brièvement le livre intitulé Pioneering Women in Plant Pathology [Les femmes pionnières dans le domaine de la pathologie végétale]. Cet ouvrage, qui est une grande source d’inspiration, a été publié par l’American Phytopathological Society et édité par Jean Ristaino. Apportez votre soutien au domaine de la pathologie végétale et commandez un exemplaire sur APSnet Store.
À citer comme suit : Kamoun, S. (2021) Livre sélectionné : Pioneering Women in Plant Pathology [Les femmes pionnières dans le domaine de la pathologie végétale]. Zenodo https://doi.org/10.5281/zenodo.5645009
Bonjour, je m’appelle Sophien Kamoun. Je suis phytopathologiste au Sainsbury Lab à Norwich au Royaume-Uni. Aujourd’hui, plutôt que d’expliquer comment les plantes tombent malades et sont infectées par des agents pathogènes, je vais vous parler d’un livre que j’ai lu et qui m’a beaucoup inspiré.
Ce livre est intitulé Pioneering Women in Plant Pathology et a été édité par ma collègue Jean Ristaino, professeur de phytopathologie à la North Carolina State University. Le livre contient 27 chapitres qui sont chacun consacrés à une femme scientifique qui a activement contribué au domaine de la phytopathologie.
La dédicace est touchante et dévoile ce qui a motivé l’auteur à écrire ce livre : retracer la vie et le travail de toutes ces femmes qui ont contribué à la science. Bien souvent les contributions de ces femmes scientifiques n’ont pas été correctement documentées ni reconnues. Aujourd’hui, Jean et tous nos collègues qui ont travaillé sur ces différents chapitres ont pu mettre en lumière le travail de ces pionnières.
Je vais maintenant vous parler de trois femmes formidables spécialisées dans le domaine de la pathologie végétale.
Johanna ‘Hans’ Westerdijk : rendons hommage à cette pionnière néerlandaise de la pathologie végétale
Pour ceux d’entre vous qui connaissent bien la phytopathologie, vous reconnaitrez facilement la première femme que je vais vous présenter. Il s’agit de Johanna Westerdijk. On peut dire que cette phytopathologiste néerlandaise a créé le domaine de la mycologie aux Pays-Bas. Elle a développé la collection de cultures du Centraalbureau voor Schimmelcultures (CBS) qui existe toujours aujourd’hui mais qui a été rebaptisé Westerdijk Fungal Biodiversity Institute en 2017. Elle a également fondé la société mycologique néerlandaise et a été la première femme professeur aux Pays-Bas.
Johanna, également appelée Hans, était une femme imposante qui a encadré de nombreux scientifiques. Elle a aussi contribué activement à la recherche scientifique et a notamment travaillé sur l’étude de la graphiose de l’orme qui a été décrite pour la première fois en 1921 par la doctorante de Johanna, Bea Schwarz. Johanna a été nommée professeur à l’université d’Utrecht en 1917. Si un jour vous vous trouvez dans l’amphithéâtre de l’université d’Utrecht pour assister à l’un des événements publics au cours desquels les doctorants soutiennent leurs thèses puis célèbrent leurs résultats, vous pourrez y voir son portrait. Je crois que c’est la seule femme sur ce mur et son portrait se situe en bas à gauche parmi les autres portraits de professeurs célèbres. Regardez maintenant de plus près ; vous voyez cette petite porte, juste en dessous de son portrait ? Avant que les professeurs ne sortent de la salle par cette porte, ils s’inclinent devant Johanna Westerdijk. Je pense que c’est un geste très touchant de la part de l’Université d’Utrecht.
Comme je l’ai mentionné, vous connaissiez peut être déjà Johanna Westerdijk. Néanmoins, la femme que je vais maintenant vous présenter pourrait vous surprendre.
Rosalind Franklin : de la Photographie 51 au virus de la mosaïque du tabac
Ceux d’entre vous qui s’y connaissent en biologie ont déjà certainement entendu parler de Rosalind Franklin. Naturellement, Rosalind Franklin est connue pour avoir contribué à la découverte de la structure de l’ADN grâce à ses travaux extraordinaires de cristallographie aux rayons X. En particulier, sa Photographie 51, connue dans le monde entier, a même été exposée dans le cadre de pièces de théâtre dans le West End. Mon équipe et moi-même avions assisté il y a cinq ans à une pièce de théâtre au Noël Coward Theatre de Londres dans laquelle Nicole Kidman avait incarné Rosalind Franklin. Ce fut une expérience absolument incroyable et inoubliable.
Ce que l’on sait moins, c’est que vers la fin de sa carrière, Rosalind Franklin travaillait sur le virus de la mosaïque du tabac pendant environ quatre ans. Ses travaux ont permis de mieux comprendre la structure de ce virus. L’image que je vous présente est issue de ses travaux. Malheureusement, elle est décédée des suites d’un cancer avant d’avoir pu terminer ses travaux. Elle a toutefois énormément contribué au domaine de la pathologie végétale et nous la considérons comme l’une des phytopathologistes les plus connues.
Eva Sansome : la cytogénétique des oomycètes dans la cuisine
J’aimerais maintenant me concentrer sur Eva Sansome car son parcours est touchant et son travail est très proche de mon domaine de recherche. Eva avait commencé à étudier la biologie végétale dans les années 1930, avec un travail qui à l’époque n’avait rien à voir avec les agents pathogènes végétaux. Elle était spécialisée dans la cytogénétique, un domaine en plein essor à l’époque. Cette spécialité permet d’étudier l’ADN et les chromosomes à l’aide de techniques de biologie cellulaire. On peut considérer cette spécialité comme le précurseur de la génomique moderne. Voici un aperçu de ses premiers travaux portant sur les petits pois (ou Pisum sativum) qui remontent aux années 1930.
Sur cette photo qui date des années 1960, vous pouvez voir Eva sur le côté gauche. Mais bien avant que cette photo n’ait été prise, Eva avait commencé à travailler au laboratoire de Cold Spring Harbor pendant la Seconde Guerre mondiale. Voici une photo d’Eva en 1942 à Cold Spring Harbor avec le légendaire Salvador Luria qui a obtenu le prix Nobel de médecine et physiologie. Il est connu pour ses travaux de microbiologie qui ont permis de mieux comprendre les bactéries et bactériophages et qui ont ainsi donné naissance au domaine de la biologie moléculaire. Le test de fluctuation (ou expérience de Luria et Delbrück), qu’il a mis au point en 1943 aux prémices de la génétique, est l’une des expériences les plus ingénieuses et les plus influentes car il a su démontrer que les mutations se produisent indépendamment de la pression sélective appliquée.
À Cold Spring Harbor, Eva a découvert la mycologie. Elle y a travaillé sous la supervision d’un scientifique russe spécialisé en mycologie qui lui a enseigné toutes les méthodes de mycologie et a instillé en elle une nouvelle passion. Elle est ensuite retournée au Royaume-Uni puis a vécu, enseigné et travaillé en Afrique avec son mari qui était botaniste. Pendant cette période, elle a continué les travaux qu’elle avait entrepris à Cold Spring Harbor en étudiant un groupe de microbes, les oomycètes. Il ne s’agit pas à proprement parler de champignons, mais à l’époque ils étaient considérés comme tels. Grâce aux travaux d’Eva, on sait aujourd’hui que les oomycètes possèdent des caractéristiques génétiques réellement distinctes de celles des champignons.
Les oomycètes comprennent un pathogène végétal très connu, probablement le plus connu, le Phytophthora infestans. « Phytophthora » signifie « tueur de plantes » en grec. Le Phytophthora infestans est l’agent responsable du mildiou de la pomme de terre qui a déclenché la famine en Irlande dans les années 1840. Vous pouvez voir sur cette photo que lorsque les pommes de terre sont infectées par ce pathogène elles sont totalement détruites par le tueur de plantes Phytophthora.
Nous savons maintenant que les oomycètes comme le Phytophthora ne sont pas des champignons. Ils ressemblent à première vue aux champignons, mais du point vue de leur histoire evolutive (phylogénie), et une fois que l’on comprend leur biologie, on se rend compte que la similitude avec les champignons est assez superficielle et ne reflète aucune relation phylogénétique car les oomycètes ne sont pas étroitement liés aux champignons.
À l’époque où Eva faisait ses recherches, ce fait n’était pas encore bien compris. Puis, dans les années 1970, le matériel génétique des oomycètes a fait l’objet d’un débat approfondi, parfois même controversé. De nombreux scientifiques, notamment aux États-Unis, pensaient que les oomycètes, tout comme les champignons, étaient haploïdes. Ce raisonnement avait été influencé par le point de vue selon lequel ces organismes sont des champignons.
Que signifie être haploïde ? Les organismes haploïdes, comme les champignons, ont une seule copie de chaque gène dans leurs cellules. Toutefois, de nombreux organismes, comme les animaux ou les humains, sont diploïdes. Ils ont deux copies de chaque gène et de chaque chromosome dans leurs cellules. Une copie vient d’un parent et la seconde copie vient de l’autre parent.
Eva avait découvert que les oomycètes, comme le Phytophthora, étaient diploïdes. Ils ne sont pas haploïdes comme la majorité des champignons. Ce débat avait été très controversé dans les années 70. Mais ses travaux étaient vraiment remarquables. Eva avait utilisé les méthodes de cytogénétique qu’elle avait perfectionnées depuis les années 30 pour clairement démontrer que dans les ovules (ou oospores) du Phytophthora, en particulier le Phytophthora infestans, l’agent responsable du mildiou de la pomme de terre, on peut voir que cet organisme est très probablement diploïde. Il a fallu attendre les années 1980 pour que cette opinion soit largement acceptée. De plus, le fait que les oomycètes se distinguent réellement des champignons n’a vraiment été établi que dans les années 1980. En effet, les séquences génomiques ont permis de catégoriser précisément les oomycètes comme un type d’algues hétérokontes sans rapport avec les champignons dans l’arbre phylogénétique.
Je vais vous raconter une petite anecdote à propos d’Eva. Quand Eva est revenue d’Afrique avec son mari, ils se sont installés dans le Norfolk, dans le petit village paisible de Diss pas loin de Norwich où se trouve mon laboratoire. Ses travaux les plus importants sont issus d’expériences réalisées dans son laboratoire installé tout simplement dans sa cuisine. Vous pouvez d’ailleurs remarquer dans son article paru dans Nature que l’adresse indiquée est en fait celle de son domicile à Diss dans le Norfolk.
Chaque fois que nous prenons le train de Norwich à Londres nous nous arrêtons toujours à Diss. Lorsque j’entends le conducteur annoncer cette gare, je pense souvent à Eva Sansome dans sa cuisine en train de préparer des lames d’oospores de Phytophthora et d’examiner méticuleusement les chromosomes avec son microscope. J’imagine que cela avait dû être assez impressionnant. Mon collègue Richard Michelmore (un peu plus âgé que moi!) en a fait personnellement l’expérience lorsqu’il travaillait dans le cadre de son doctorat sur un autre oomycète pathogène, le Bremia lactucae responsable du mildiou de la laitue. Richard se rendait régulièrement dans la cuisine d’Eva où elle lui a appris comment préparer des lames de chromosomes de Bremia. Cette photo a été prise lors d’une conférence sur les oomycètes en 2019. Il nous avait fait part de son expérience et nous avait également dit qu’il avait hérité des lames de microscope originales d’Eva qui démontraient que les oomycètes sont diploïdes. J’espère sincèrement que ces lames trouveront un jour leur place dans un musée des sciences pour commémorer la découverte historique d’Eva Sansome.
Eva a également collaboré avec Clive Brasier au tout début de sa carrière. Ils sont devenus par la suite de très bons amis. Clive Brasier est devenu l’un des phytopathologistes les plus connus, travaillant à Forest Research. Il a contribué énormément à plusieurs domaines de la phytopathologie, notamment en démontrant l’importance de l’hybridation interspécifique chez les Phytophthora. Clive a écrit le chapitre du livre consacré à Eva.
Les travaux d’Eva vont bien au-delà de démontrer que les oomycètes sont diploïdes. Eva et Clive ont également démontré que certains Phytophthora peuvent être polyploïdes, ce qui signifie qu’ils peuvent avoir plus de deux copies de chaque gène dans leurs cellules. Ils ont tous deux joué un rôle de pionnier en apportant cette contribution formidable sur laquelle nous nous fondons aujourd’hui. Plus tard, grâce aux nouvelles méthodes de recherche (comme la génomique) qui nous permettent maintenant de séquencer le génome de chaque organisme, y compris le Phytophthora, il a été possible de confirmer le point de vue selon lequel le Phytophthora infestans est généralement diploïde mais que certaines souches peuvent également être triploïdes ou tétraploïdes (copies multiples de gènes). Mes collègues Kentaro Yoshida et Hernàn Burbano ont démontré ce point en 2013 en utilisant le séquençage du génome, une méthodologie qu’Eva aurait rêver d’exploiter à l’époque de sa découverte.
Ce qui reste extrêmement dommage c’est qu’Eva Sansome n’a jamais été reconnue par des institutions comme la Royal Society. Ayant travaillé en Afrique puis dans son laboratoire de cuisine, elle s’était mise un peu à l’écart de la recherche universitaire et académique. Elle n’a donc jamais vraiment obtenu la reconnaissance qu’elle méritait. Dans le livre, le chapitre de Clive en parle à la fin. Ses travaux ont été reconnus d’une certaine manière, mais peut-être pas autant qu’ils auraient pu l’être.
Cependant, le travail d’Eva a résisté à l’épreuve du temps et sa contribution est au cœur des recherches que nous menons aujourd’hui. Et ça c’est le plus grand honneur pour un scientifique.
Je vous remercie pour la lecture de cet article. Si vous avez aimé ces trois histoires, n’hésitez pas à vous procurer un exemplaire de ce livre pour découvrir les 24 autres femmes pionnières dans le domaine de la pathologie végétale.
Je souhaite remercier Jennifer Mach et Monica Harrington de PlantEditors d’avoir retranscrit ma présentation en une version lisible. Je remercie aussi l'équipe de The Translation People pour la traduction de l'anglais.