En terre étrangère: mon expérience en tant que chercheur immigrant
Traduit et adapté de Genome Biology 18, Article number: 232 (2017). https://doi.org/10.1186/s13059-017-1370-4
Pour citer cet article: Kamoun, S. (2021). En terre étrangère: mon expérience en tant que chercheur immigrant. https://doi.org/10.5281/zenodo.5512649
Qu’est-ce qui a influencé le choix du pays dans lequel vous vivez actuellement ?
Sophien Kamoun (SK) : En allemand, il y’a un vieux dicton qui dit « wo die Musik spielt », ce qui signifie que vous allez là où “ça se passe”, la «ou la musique est jouée ». Je pense que cela résume bien les choses. Lorsque j’étais étudiant dans les années 1980, presque tout le monde voulait faire un doctorat aux États-Unis. Je pensais donc que pour suivre la meilleure formation possible et figurer parmi les meilleurs, je n’avais pas d’autre choix que d’étudier aux États-Unis. Je pense que cela reflétait bien la situation dans les années 1980. J’ai, en effet, vécu une expérience formidable à l’Université de Californie à Davis. En plus, à cette époque-là, l’Europe n’était pas très ouverte aux scientifiques non occidentaux et la mobilité internationale n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui [1]. Je me suis ensuite installé aux Pays-Bas avant de retourner aux États-Unis pour finir au poste que j’occupe actuellement à The Sainsbury Laboratory (TSL) de Norwich au Royaume-Uni. J’ai déménagé à Norwich il y a dix ans exactement, tout d’abord à cause de la réputation de centre d’excellence pour la recherche en phytopathologie du laboratoire, mais aussi pour le généreux soutien fourni par David Sainsbury par le biais de la Gatsby Foundation. J’ai passé des moments exceptionnels au TSL au cours de ces dix dernières années. J’ai notamment eu l’opportunité de travailler avec des scientifiques remarquables provenant de 30 à 40 pays différents. Un point intéressant à noter est que lorsque le TSL a été fondé en 1988, tous les dirigeants du groupe étaient britanniques [2], alors qu’aujourd’hui, nos investigateurs principaux viennent du monde entier [3]. Pour moi, le TSL reflète vraiment l’émergence du mouvement #ScienceisGlobal sur les réseaux sociaux [4], qui est si évident au Royaume-Uni et en Europe.
Avez-vous des commentaires sur tout obstacle ou préjugé inconscient auquel vous avez été confronté en tant que scientifique immigrant et auquel vos collègues n’ont peut-être pas eu à faire face ?
SK : Il est difficile de faire de telles déclarations avec assurance et sans passer pour un râleur ou quelqu’un qui se plaint. La différence entre paranoïa et perception est très subtile. Il vaudrait peut-être mieux poser cette question à nos collègues natifs pour savoir s’ils pensent avoir des préjugés. Cela étant dit, nous avons tous des biais cognitifs, notamment des sentiments hors du domaine de la pensée consciente [5]. La professeure Uta Frith a créé une exceptionnelle animation et un exposé sur les préjugés inconscients que je vous invite tous à consulter [6]. Le mieux que l’on puisse faire est d’éduquer et de créer des processus visant à rappeler aux collègues, aux comités, aux bailleurs de fonds, etc., de ne pas juger les individus sur leur origine ethnique, leur sexe, leur apparence physique, leur handicap ou toute autre chose sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. Le plus utile pour moi est de sensibiliser et d’apprendre à valoriser la diversité sous toutes ses formes et de réfléchir aux mesures et aux incitations qui pourraient améliorer les comportements.
Quels ont été vos plus grandes difficultés et vos plus belles opportunités au cours de votre carrière ?
SK : La plupart des pays ont tendance à mettre la barre plus haut pour les immigrants. Vous ne pouvez pas être juste aussi bons que les autres candidats pour obtenir le poste ou la promotion. Cela peut cependant être une source de motivation pour s’améliorer et exceller. Il faut croire que l’on vit dans une méritocratie qui reconnaîtra le meilleur candidat. Personnellement, j’ai généralement eu l’impression que le fait d’être immigrant m’avait permis de développer mon propre style et ma propre personnalité sans trop me soucier des attentes des autres. Être immigrant vous confère une certaine liberté. Vu que l’on s’attend à ce que vous soyez différents, autant être vous-même.
Que pourrait-on faire pour encourager et soutenir davantage les chercheurs qui vivent à l’étranger ?
SK : Nous avons encore beaucoup à faire pour sensibiliser à la parité des sexes et aux problèmes associés dans le domaine de la science. Ceci est extrêmement positif et j’espère que cela apportera des résultats concrets pour améliorer les rôles que les femmes jouent dans le domaine de la science et universitaire. J’aimerais voir un mouvement semblable visant à valoriser l’impact des scientifiques étrangers. Il est important de reconnaître que la diversité ethnique et culturelle offre de nombreux éléments positifs à l’entreprise scientifique. Il est d’ailleurs bien reconnu que les expériences multiculturelles tendent à améliorer la créativité et sont bien plus susceptibles de générer des moments Eureka [7]. La diversité contribue aussi à contrecarrer le tristement célèbre réseau de copinage qui afflige le domaine des sciences et universitaire depuis des décennies [8].
Je suggère que le pourcentage de scientifiques étrangers soit considéré comme une mesure de la diversité qui est appliquée aux comités et autres organes décisionnels. On entend beaucoup parler de #ScienceisGlobal de la part des organismes de financement et des sociétés savantes, mais je ne suis pas certain que leur bilan en termes de diversité et de scientifiques étrangers soit aussi bon que ça. Prenons l’exemple des bourses des dirigeants de demain de 2014/2015 du Biotechnology and Biological Sciences Research Council (BBSRC), qui est réputé pour la parité des sexes, mais pour lequel la diversité des candidats ne semble pas être à la hauteur de la diversité des étudiants et post-doctorants que je vois autour de moi [9]. Je suis ravi que la cohorte de 2016 semble plus diversifiée. Pour aller de l’avant, il est important de prêter attention à la composition des comités de sélection. La diversité du comité en termes de membres étrangers reflète-t-elle la diversité de l’institution ? Une autre mesure est d’éduquer les comités sur les préjugés inconscients et la manière dont ils influencent leur prise de décisions [6].
Traduit de l’Anglais par The Translation People www.thetranslationpeople.com